Supplique de l’abbé Jean-Marie Léon Jacquemain au Président de la République pour réclamer des secours pour l’église d’Avioth.
’an de grâce 1852, le six février, je soussigné Jean-Marie Léon Jacquemain, curé d’Avioth ai remis entre les mains du sous-préfet à Montmédy, une supplique au Prince Louis Napoléon, Président de la République française ainsi conçue :
Au Prince Louis Napoléon, Président de la République,
Prince, permettez nous au nom de la commune d’Avioth de faire appel aux nobles sentiments de générosité dont vous avez déjà donné tant de preuves et d’intéresser votre amour pour les Beaux arts en faveur de la belle et pauvre église d’Avioth.
Nous avons dans notre pauvre village une magnifique église, véritable chef d’œuvre de cette architecture gothique devant laquelle le génie de ns grands hommes reste plongé dans l’admiration et l’étonnement. Je ne puis, Prince, vous en faire concevoir une plus haute idée qu’en vous disant que, depuis plusieurs années, le gouvernement la prise sous sa protection et l’a classée parmi ces rudes monuments du Moyen-Âge, qu’il cherche à consolider et à raffermir sur leurs bases : il l’a déclarée monument historique.
Mais les sommes que le gouvernement a alloué jusqu’à présent ont été bien insuffisantes : les réparations qui furent faites n’ont abouti qu’à constater par un contraste affligeant le misérable état de cette édifice si riche cependant en sculptures. De cette église, jadis et maintenant encore le chef d’œuvre de la Lorraine, il ne restera bientôt plus que des ruines si vous ne vous hâtez, Prince, de venir à notre secours. La voûte crevassée en plusieurs endroits effraie, à juste titre, les regards des curieux et de l’architecte lui-même car, à chaque jour, le temps en détache quelques débris. Les murs recouverts à l’intérieur d’une crasse verdâtre que la pluie y a déposé, les vitraux brisés et remplacés ça et là par quelques misérables planches, l’affreux badigeon sous lequel le mauvais goût a caché de véritables beautés d’architectures, des statues précieuses par leur antiquité et des campaniles délicatement dentelées : tout contribue à donner à l’intérieur de notre église l’aspect le plus affligeant.
Et nous n’avons rien, absolument rien pour remédier à tant de pauvreté ; les secours nous manquent depuis plusieurs années et aucune voix ne s’élève en notre faveur. Ah ! plus d’une fois, nous avons vu, Prince, à la vue de tant de pauvreté, la tristesse se peindre sur le visage de l’étranger, accouru souvent de loin pour admirer l’église Notre-Dame d’Avioth, plus d’une fois nous avons surpris des larmes involontaires s’échappant de ses yeux.
Autrefois, un orgue aux sons harmonieux déroulait ses flots d’harmonie sous les voûtes de notre église. Aujourd’hui, il reste silencieux parce qu’il nous faudrait quelques ressources pour tirer parti de ses débris encore précieux, et ces ressources, nous ne les avons pas.
Autrefois, une sonnerie digne de la majesté de cet édifice faisait l’admiration de la contrée. Mais le vandalisme de 93 a laissé à Avioth des traces toujours vivantes de son passage. Aujourd’hui, il ne nous reste qu’une petite cloche dont les sons ne parviennent même pas jusqu’aux extrémités de notre petit village.
Encore si cette église était à Paris, ou à proximité de Paris ! nous disait naguère Monsieur l’architecte du gouvernement, elle serait bientôt restaurée.
Aussi, Prince, c’est avec justice et vérité, et en même temps avec la plus grande confiance que nous nous adressons à vous et que nous vous conjurons de venir à notre secours. Conservez à la France un de ses plus beaux monuments d’architecture gothique. Les Beaux arts vous en remercieront et nous, nous prierons Dieu avec plus de ferveur dans cette église, où votre nom restera vivant par chaque pierre que vous restaurerez, pour le Prince bienfaisant qui gouverne la France.
Daignez recevoir l’assurance du profond respect avec lequel nous sommes, Prince, vos très humbles et obéissants serviteurs.
Jacquemain, curé d’Avioth
Soussigné les membres du conseil municipal dont les noms suivent :
Goffinet, maire, Protin, adjoint, Sourdeaux, Chevalier, Arnould, Didier, Salmon.
Ont signé également les membres du conseil de fabrique : Devaux, trésorier, Sourdeaux, Noël et Lepointe.
Pour copie conforme Avioth le 1er février 1852
Jacquemain, curé d’Avioth
Source : Lettre recopiée par l’abbé Henri CHEVALIER sur le cahier de délibérations du conseil de fabrique d’Avioth depuis 1804 jusqu’à 1899.
Jean-Marie Léon Jacquemain, curé d’Avioth de 1850 à 1880, est un des grands serviteurs d’Avioth. Auteur du livre « Notre-Dame d’Avioth et son église monumentale » (récemment reproduit par les éditions Lacour), il a beaucoup contribué au renouveau du Pèlerinage.
C’est lui qui a découvert, sous des boiseries du XVIème siècle, le magnifique autel du choeur et qui est à l’origine de l’enlèvement de l’affreux badigeon qui recouvrait le tabernacle, le trône de la vierge et les fresques du déambulatoire.
Il est enterré dans le « nouveau » cimetière d’Avioth qu’il avait béni lui-même le 13 avril 1862.
Sa tombe est située tout en haut de l’allée centrale.
Les inscriptions sont tellement effacées que l’association du Pèlerinage de Notre-Dame d’Avioth a décidé d’y faire poser une plaque.
Après la décision, dans les années 80, de donner son nom à une rue du village, c’est une autre manière de lui rendre hommage.
Jean CHEVALIER – février 2006