Réanimation néonatale à Avioth
du XIlle au XVllle siècle
la suite des proclamations théologiques de Pierre Chrysologue, au Ve siècle, la croyance populaire admettait que les enfants mort-nés et décédés sans baptême, n’allaient pas en paradis mais dans une sorte d’enfer : les limbes. Le bon peuple, animé d’une foi robuste, ne put se résoudre à accepter une telle issue pour ses innocents. Aussi se forgea-t-il l’idée que l’intervention miraculeuse de la Vierge ou de certains saints permettait un bref retour à la vie. Celui-ci mis à profit pour baptiser le petit trépassé permettait de lui éviter les affres du feu éternel. Ainsi naquirent dans tout le monde chrétien de nombreux pèlerinages dont certains se prolongèrent jusqu’au début de ce siècle.
La Lorraine, où l’on appelait «aviots» ces enfants, comptait plusieurs sanctuaires ; Notre-Dame de Benoîte Vaux dans l’arrondissement de Verdun, Notre-Dame de Bonne Nouvelle dans l’église Saint-Georges à Nancy, Notre-Dame des Aviots dans le canton de Bayon, Notre-Dame d’Avioth dans le canton de Montmédy. Nous limiterons notre propos à ce dernier site.
Avioth, petit hameau du Nord-Meusien, situé à la frontière belge, ne doit en effet son existence qu’à son pèlerinage. Selon la légende, des bergers découvrirent dans un buisson une statue de la Vierge. Un sanctuaire fut érigé au cours de la seconde partie du XIe siècle sur les lieux mêmes de la découverte, peut-être sous l’impulsion des cisterciens de l’abbaye voisine d’Orval. Les pèlerins venant vénérer la Vierge devinrent si nombreux que rapidement l’édifice s’avéra trop petit. Une nouvelle église fut édifiée â partir de la deuxième moitié du XIII` siècle. Grâce à un pieux manuscrit intitulé « Brief recueuil de l’estat de l’Eglise Notre Dame d’Avioth fait en l’an 1668 par Mr. Jean Delhotel, humble curé du dit Avioth », nous connaissons un peu l’origine de l’église et l’histoire de son pèlerinage. Notre chroniqueur explique en effet : « J’ai appris de mes ancêtres, qui eux-mêmes l’avaient recueilli comme une pieuse tradition, que cette image, l’une des plus grandes que nous connaissons parmi les Images miraculeuses de la Vierge avait été bâtie des anges, envoyée du ciel en terre et déposée en un lieu où elle trône encore dans son église d’Avioth, sous une pyramide délicatement sculptée.»
Le manuscrit renferme de nombreux faits précis, la plupart datés : accidents graves sans conséquences, délivrances extraordinaires de prisonniers, guérisons de maladies graves telles que le choléra. Mais surtout, l’abbé Delhotel s’étend dans sa relation sur la ressuscitation temporaire des enfants morts sans baptême.
Les aviots étaient apportés dans un panier et venaient souvent de fort loin : Bastogne, Marville, Habay, Arrancy, distants de plusieurs lieues d’Avioth (1). Quelle que soit la saison, ils étaient exposés nus aux pieds de la statue de la Vierge, à même la pierre. Tous les assistants, appelés au son de la cloche, se mettaient en prières. On chantait le Salve Regina (2) puis les litanies en l’honneur de la Vierge. Certains faisaient célébrer la messe, se confessaient et communiaient, «afin de pouvoir plus efficacement incliner la Vierge Marie de leur obtenir de Dieu son Fils, grâces et miséricordes pour ces enfants à leur grande consolation.»
Alors des signes de vie apparaissaient : «le mouvement des veines des membres revient, la couleur de noir devient vermeille, l’effusion du sang ou une sueur chaude survient » note le chroniqueur. En présence de ces symptômes le baptême était donné. Aussitôt après les signes de mort réapparaissaient. Quelquefois celle-ci était déjà ancienne ou était survenue dans des conditions fort suspectes comme en témoignent les deux cas suivants rapportés par Jacquemin. Le premier concerne « une enfant morte, appartenant à une fille nommée Elisabeth, servante de Monsieur Handestenne, de Meix-devant-Virton (3), le 4 mai 1660. La dite enfant est venue au monde pleine de vie, mais doit avoir été suffoquée par sa mère coupable et jetée dans les lieux d’aisance de la maison du dit Handestenne, où elle demeura trois jours. Le corps de cette innocente créature, qui était tout noir, fut apporté devant l’image de Notre-Dame, par la sage-femme de Meix, accompagnée de plusieurs autres femmes, et tout chacun se mit en prières, demandant à la glorieuse Vierge Marie d’avoir pitié et compassion de ce malheureux événement, qu’il lui plaise de faire voir sa puissance à sa plus grande gloire, édification du monde et pour le salut de cette innocente créature. » Jean Delhotel baptisa l’enfant qui donna des signes de vie et retourna ensuite à son état mortel. Le second intéresse un enfant apporté en l’église d’Avioth le 25 janvier 1663. II avait déjà été inhumé pendant trois jours dans le village de Prouvy. Après avoir présenté des signes de vie, il fut baptisé par Catherine Richy, sage-femme d’Avioth.
Il convient de noter que l’autorité ecclésiastique s’éleva contre ces pratiques interdites dès 1452 par l’évêque de Langres. Une assemblée synodale tenue à Lyon en 1557 condamna ces manifestations comme «empreintes de superstition». Ces décisions n’empêchèrent pas les pèlerins d’affluer à Avioth et les miracles de s’accomplir…
II est difficile de préciser le début de la ressuscitation des mort-nés à Avioth. Remonte-t-il à l’origine du pèlerinage, il est impossible de l’affirmer. Selon Jean Delhotel l’étymologie du mot Avioth viendrait de « a vita » signifiant donnant la vie. Si celle-ci est exacte on peut supposer que le retour à la vie des mort-nés existait avant 1223, date du premier document concernant la bourgade (4). Les miracles se seraient renouvelés jusqu’à la révolution de 1793 (Jacquemin). Malheureusement ces temps troublés ont fait disparaître les registres portant relation de ces faits. Ceux rapportés par l’abbé Delhotel sont ceux « qui étaient dignes de foi et les plus manifestes. » Entre les dates extrêmes du 17 mars 1642 et du 23 février 1686, le pieux curé fait mention de vingt-deux réanimés. Jacquemin, dont les critères de vie semblent moins stricts, en rapporte 122 de 1656 à 1673 (5).
Que penser de ces miracles ? II ne fait aucun doute, à la lecture du manuscrit du scrupuleux abbé Delhotel, que son auteur croyait à la ressuscitation des mort-nés. En fait il en est probablement des aviots comme du toucher royal et de la guérison des écrouelles. II n’en demeure pas moins que ces enfants représentent les ancêtres de la réanimation néonatale.
NOTES
(1) Bourgs distants de 10 à 60 kilomètres environ.
(2) La tradition veut que le Salve Regina ait été chanté pour la première fois par Saint-Bernard en visite à Orval, et de passage è Avioth.
(3) Distant de 15 kilomètres
(4) Charte de Louis comte de Chiny.
(5)
1656 : 4, 1657: 5, 1659 : 4, 1660 : 7, 1661 : 8, 1662 : 7, 1663 : 9, 1664 : 6, 1665 : 12,
1666 : 2, 1667 : 2, 1668 : 5, 1669 : 10, 1670 : 6, 1671 : 12, 1672 : 12, 1673 : 6.
BIBLIOGRAPHIE :
ROUSSEL (R.). – « Les pèlerinages des mort-nés. » – Aesculape, 1955, 37, 108-111.
ROUSSEL (R.). – « Les pélerinages à travers les siècles. » – 1 vol. in-8. Paris, 1955. Payot, édit.
par Ch. ANDRÉ et J.-M. ANDRÉ
« Les médecins du Nord-Est.» vers 1970
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LES ENFANTS MORT-NES A AVIOTH
Une tradition dont on ne sait pas les origines veut qu’ont ait apporté à N.-D. d’Avioth, les enfants mort-nés ou morts sans baptême. On venait de la région présenter ces enfants aux pieds de N.-D. : on priait, on chantait, on implorait, et lorsqu’on pensait découvrir un signe de vie, on les baptisait. Le fait était discutable, même s’il témoignait de la foi profonde des gens et de la valeur qu’ils attachaient au baptême. L’Eglise elle-même n’avait pas approuvé une telle pratique et ici et là des interdictions avaient été portées. Elle subsista cependant longtemps à Avioth.
Il faut attendre 1786 pour que soit portée une défense formelle. Le Chanoine Vigneron nous a communiqué le texte de cette interdiction faite par le Visiteur de l’Archevêque de Trèves. Voici ce texte :
« II existe une coutume, tout à fait à réprouver, qui se maintient dans certains villages des environs : à savoir que les enfants mort-nés sont déposés ou portés dans les bras devant la statue de la Bienheureuse Vierge Marie. Lorsqu’on voit ou que l’on croit voir un changement dans la couleur du cadavre, on administre aussitôt le baptême et on proclame que c’est par miracle qu’ils sont ressuscités pour le baptême. Cette chose a été aujourd’hui interdite au cours de l’assemblée paroissiale, et dans l’acte même de la Visite, il a été interdit au curé, qui auparavant avait déjà vainement condamné cet usage comme superstitieux, de permettre que l’on porte les enfants mort-nés devant la statue désignée et ce à peine de suspense.»
On aura noté la date et l’époque de ce décret – 1786 – en pleine période de rationalisme à la veille de la Révolution.
On pourra aussi se rappeler que le coadjuteur de Trêves était alors Nicolas de Hontheim, seigneur de Montquintin et environs qui depuis 1763 s’illustrait par ses écrits audacieux contre le pouvoir de l’Eglise, sous le nom de «Febronius».
Dans un article paru, il y a quelques années dans une revue médicale et consacré à cette question des enfants mort-nés portés à Avioth, le Dr André, de Montmédy écrivait pour finir :
« Que penser de ces miracles ? II ne fait aucun doute, à la lecture du manuscrit du scrupuleux abbé Delhotel, que son auteur croyait à la ressuscitation des mort-nés. En fait, il en est probablement des aviots comme du toucher royal et de la guérison des écrouelles. II n’en demeure pas moins que ces enfants représentent les ancêtres de la réanimation néonatale. »
Abbé R. SOMMESOUS
Echos de Notre-Dame d’Avioth – n°6 – 1975
Pour en savoir plus :
AVIOTH une église dite à répit
Par Jean-Luc DEMANDRE
(Les riches heures de Notre-Dame d’Avioth – 1989)
Photographie prise à la fin du XIXe siècle (à notre connaissance, la plus vieille photographie de la statue de Notre-Dame d’Avioth.). Derrière le pinacle du dais, la statue de sainte Barbe. |
Quelle que soit la saison, les aviots étaient exposés nus aux pieds de la statue de la Vierge, à même la pierre. |